Ce récit est celui de la redécouverte d’une enfance dissimulée sous un secret de famille et enfouie sous l’histoire décriée de la colonisation. Le manuscrit a bien failli se perdre et revit, porteur d’une époque et d’une culture perdue. Le ressort caché en est une relation dramatique mère-fille qui se répercute sur plusieurs générations.
Le Mellah de Fès des années vingt est le lieu d’une communauté chaleureuse, soudée par des contraintes extérieures et intérieures considérables. A l’extérieur la pression du monde musulman - et ce n’est pas le moindre intérêt de cet ouvrage que de faire sentir la similarité de la vie de ces deux communautés - à l’intérieur le quotidien des traditions religieuses intimement mêlées aux superstitions et aux usages les plus curieux.
Le phénomène central est l’arrivée de la France, perçue comme protectrice et généreuse, dispensatrice de culture et de liberté. Le choc des cultures est vécu par une petite fille déchirée entre sa communauté et ses nouveaux maîtres à penser.
La culture a la visage de la directrice de l’école : une française, Madame Cézanne, femme d’officier. La famille de Gracia vit misérablement (tous ses biens ont été confisqués en 1914, parce que le père s’était mis « sous la protection » du consul d’Allemagne). C’est le général de Chambrun qui va payer l’école pour la petite Gracia et surtout obtenir de ses parents qu’elle puisse continuer à y aller.
Dans le cœur de cette petite fille, la lutte entre l’attachement aux traditions et l’appel de la liberté incarné par tout ce qui est français est féroce. Un drame de la vie va précipiter notre héroïne en France et lui faire rompre les ponts avec sa famille.
C’est à la fois un roman historique, exotique et un roman d’amour ; l’histoire d’une jeune fille courageuse qui veut échapper à son destin. Les années vingt sont si loin et si proches, l’intégrisme religieux est triomphant comme triomphe aussi la laïcité et l’école. Gracia est l’otage de l’un puis de l’autre. Elle cherche sa place de femme et prend de plein fouet le choc des cultures. Elle a lâché un carcan pour tomber dans un autre. Chaque fois le bonheur, à peine entrevu, lui échappe.
Le retour à la tradition perdue, opéré par l’écriture, devient une sorte de consolation, qui la délivre en partie du remords d’avoir abandonné les siens. A travers ce récit, écrit par elle et revisité par sa fille Colette, Gracia apparaît comme un personnage attachant qui, plus que tout, a aimé la langue française.